La raison pour laquelle la salle Delpy s'appelle ainsi

Cette Archive du lundi cède la parole à Marie-Claire Bénassy, élève de l'Institut d'Études Hispaniques dans les années 1950 qui nous raconte les origines du nom de la salle Delpy.

Archive du lundi n°n14 - 25 janvier 2016

« Il n'existait pas de salle des professeurs dans l'ancien Institut. Il fallait déposer son manteau chez la gardienne, Madame Givardière. Très consciente (imbue ?) de son importance, celle-ci proclamait; “j'étais déjà là du temps de Monsieur Martinenche (1)”. P-JGuinard était le fils du fameux directeur de la “Casa (2)”, et un excellent professeur de version classique. Je l'ai entendu dire en reprenant son manteau: “Savez-vous, Madame, que je vous redoute”. Elle buvait du petit lait. Dans la rue, elle vendait l'Humanité Dimanche. Je sais que c'est Robert Ricard qui a prononcé son éloge au cimetière ; il me semble qu'elle était encore en activité (Il y a eu longtemps à l'Institut un “pouvoir féminin” dont la dépositaire n'était pas une enseignante). Le directeur, Gaston Delpy, détestait son prénom, tout comme Aristide Rumeau, et il signait G. Delpy. Il tentait d'alimenter les lycées français en professeurs d'espagnol en un temps où les effectifs des élèves grimpaient à toute vitesse (“Monsieur Untel dont j'ai fait un agrégé”). Son grand talent reconnu était l'explication de texte. Quand il disait “Mon ami monsieur Bataillon (3)”, on n'était pas obligé de le croire sur parole. Sa mort fut celle dont rêverait tout vrai professeur d'espagnol : s'effondrer subitement à sa chaire, devant les étudiants de concours, en expliquant la Cueva de Montesinos du Quichotte. Trop jeune, j'ai raté ce moment historique, mais le hasard a voulu que je voie sortir en trombe le Doyen de son bureau de la Sorbonne : je n'ai pas tardé à en savoir le motif. A ses obsèques, les collègues étaient en robe. Comme Delpy était directeur du pavillon de Cuba à la Cité universitaire, et que l'église de ladite cité était à l'autre extrémité, les beaux costumes firent leur effet pendant une longue procession. Un notoire candidat à la succession montrait ce jour-là une perceptible nervosité. Le professeur d'art Elie Lambert (4) avait étudié les agrandissements successifs de la Mosquée de Cordoue. Cela nous a valu d'entendre parler pendant un trimestre entier de “modillons à copeaux”. A l'oral de l'examen, il demandait à des jeunes filles laquelle des deux “majas” était la plus inconvenante : il ne fallait pas se tromper dans la réponse. Avant l'arrivée de Saint-Lu et de Verdevoye, l'Amérique espagnole n'était représentée que par un roman moderne présenté sans contexte (autre que l'“exploitation”) par un enseignant qui n'avait jamais traversé l'Atlantique. Le célèbre voyage de Bataillon en 1948 a mis quelques années à porter ses fruits. Le professeur de linguistique Fouchet était tout un personnage mais je n'ai aucun souvenir précis. En fait, presque chaque professeur avait son folkore. Monsieur Bouzet et sa chorale, mais je ne trouve rien de saillant dans ma mémoire. » Marie-Cécile Bénassy

« A la mémoire de G. Delpy tombé au milieu de ses élèves le 11 décembre 1952 dans cette salle de cours qui porte désormais son nom » - Plaque commémorative de la salle Delpy photographiée par Sylvie Montalibet.

Cet article est issu des Archives du Lundi, ouvrage co-dirigé par Maria Araújo, Nancy Berthier et Eva Sebbagh. Cet ouvrage reprend plus de 80 contributions créées entre 2015 et 2017 pour animer la communauté de l'Institut ibéro-américain, qui retracent les moment forts et l'histoire du lieu.